Confluence, Médiathèque Nancy, Henri Claude
Je me souviens avec quelque nostalgie de l’atelier de gravure de l’Ecole Nationale des Beaux Arts de Nancy ; il nous arrivait de l’appeler « la cave » sans apparement choquer ses utilisateurs qui risquaient, en revanche, d’accueillir d’un agacement narquois toute pédante velléité d’évoquer à son sujet, le royaume d’Héphaïtos ‘ »dont les volcans étaient des ateliers » ; En ce sous-sol un peu sombre et humide, de petits démurges modestes et généralement assez silencieux s’affairaient avec mesure autour des tables, des bacs, des réchauds et des presses, entre tâches domestiques et émouvantes liturgies, dans des odeurs de vernis, de résine, d’encre. Dos courbé, mains actives ils récuraient, polissaient, grattaient, creusaient ou encore surveillaient en cuisiniers scrupuleux, la consistance du vernis, et l’action de l’acide, tiraient un soupçon de vanité de leur habileté à essuyer d’un seul mouvement de paume large et précis l’encre excédentaire, mobilisaient en disposant plaque et papier immaculé dans leurs langes des précautions de sage-femmes, dosaient au gramme près, en actionnant la presse, l’impatience de leur corps pour enfin accompagner, souffle court et cœur tremblant, l’épiphanie de la première épreuve. Immergé dans cet atelier, Jean-François Chevalier y trouva son exacte biotope. Infatigable, corps apte à la forge et habile, il y verra son parcours initiatique goûtant vite à leur juste valeur, les plaisirs de la précision et de la contrainte. Il s’y montra tout à la fois convivial très volontiers attentif aux conseils mais aussi étonnamment libre d’intervention et d’action ; pour qui le connaissait un soudain repliement bourru, une rapide lueur dans l’oeil, un regard lifté goguenard, une esquisse de sourire sur des canines pointues, pouvaient annoncer quelque foucade quelque façon de secouer le mors, d’écarter les routines, les mièvreries, les autosatisfactions trop rapides. On lui découvrait alors-déjà- des appétits d’ogre, de jubilatoires emportements du cœur et du muscle, des bouffées d’invention, des essais incongrus voire des débordements iconoclastes. C’est ainsi que très tôt rigueur du métier, liberté de ton et coups d’audace éclatant de vitalité expressionniste ; sa curiosité pour toute technique, son goût pour les télescopages lui suggèrent l’utilisation de matériaux « pauvres », insolites que magnifie leur confrontation aux formules traditionnelles : dès 1969, l’édition du « Pompey » juxtapose fonte érodée et gravures en taille-douce début d’une séquence de créations en hommage aux sidérurgistes lorrains, la plus puissamment symbolique étant, quelques vingt ans plus tard, douze grandes sculptures d’acier, ces « Gueules d’enfer » gravées à l’usine de Pompey au chalumeau décriqueur. Ce goût du monumental le conduit parallèlement, à créer des estampes de grand format, à les maroufler sur des volumes, à mettre en scène des formes et des lieux d’émotion, stèle, porte de temples, environnements pour corps et âmes. Ainsi graveur, forgeron, sculpteur dans la lignée d’Henri Georges Adam, Jean François CHEVALIER prenant de l’âge, la barbe fleurie et du poids, n’a jamais cessé de combiner production de dessins, d’estampes, de livres-objets et recherche « d’art total ». L’exposition actuelle n’est pas encore -grâce au ciel – une rétrospective : c’est une étape forte de la maturité. On y retrouvera avec satisfaction le même souffle, une certaine démesure alliée à des perfections d’orfèvre, cette confiance dans la beauté expressive intrinsèque de la matière, cette étonnante, cette insatiable gourmandise tactile : concepteur hardi ambitieux, Jean Francois Chevalier ne saurait se priver de mettre au pied de la lettre « la main à la pâte » : il y prend des plaisirs de gourmet et de laboureur, plaisir d’opposer matités et brillances, géométrie et arabesques, plaisir du gaufrage et de l’estampage quand le papier moelleux, le carton en robe de bure s’écrasent doucement sous la presse comme neige toute fraîche sous les pas, plaisir de la couleur, des encres épaisses, savoureuses, plaisir de traverser l’image de grands mouvements lyriques, cosmiques, plaisir à répondre par l’ampleur du geste à « la nécessité intérieure », plaisir enfin d’avoir créé des réponses formelles et sereine adéquation avec sa sensibilité profonde car-écrit Jean Bazaine -« la vraie sensibilité commence lorsque l’artiste découvre que les remous de l’arbre et l’écorce de l’eau sont parents, jumeaux les pierres et son visage, et que, le monde se contractant ainsi peu à peu, il voit se lever, sous cette pluie d’apparences, les grands signes essentiels qui sont à la fois sa vérité et celle de l’univers ».