Planchons, Jean-François Chevalier

Réflexion personnelle •

Planchons

Planchons s’est acheté une machine et il débite maintenant des planches, de plus en plus droites…il a même découvert l’équerre…c’est de plus en plus précis et ressemble de plus en plus au bien fait. Si bien que son travail ne se remarque même plus – avant c’était gauche, tordu (un peu comme dans la forêt). Mais ça c’est une machine à redresser.

Alors, il usine.

Il usine et n’arrête pas de regarder, de scruter les chutes qui sont en quelque sorte, le négatif des morceaux convenants à la rectitude. Il se demande si la fonction de sa machine n’est pas de faire des chutes et de la sciure ! Cela sent bon – les essences se mélangent, il y a de la saveur dans tous ces morceaux de bois, de la forme dans les veines, de la magie dans le tanin, du nerf dans les nœuds. Alors le p’tit malin ne jette rien. La machine marche bien, cela fonctionne avec Planchons devenu son fonctionnaire. La machine, c’est l’appareil du programme. Ses fonctions sont arrêtées à un menu – son exigence à la chose – la chose qui serait rompue du corps si, elle n’était plus que marchandise à prostituer, à consommer, répondant au programme mercantile et fonctionnel. Cette chose que l’on voudrait aimable puisqu’elle n’a pas de finalité humaine. Cette chose produite par l’automatisation de la rectitude, contrôlée par l’équerre et le compas – inventant les faisceaux rigoureux d’une perspective en trompe l’oeil, mathématique et académique. La machine de tous les dangers prête à te scier la main ou te raboter le pouce – c’est tout juste si en la laissant faire, elle ne te couperait pas.

Planchons dit qu’il fait attention, attention qu’elle ne lui prenne pas la tête.

Il a tellement de choses à faire avec ses chutes qui ont fait des planches et des planches…Ce qu’il voudrait, c’est faire des planches aussi belles que ses chutes – des planches qui répondent à de réelles questions-des réponses, intelligibles pas confuses -avec fermeté et souplesse-vivantes, pourquoi pas passionnées qui mettent en scène la phénoménologie du vraisemblable, qui refusent la stratégie de la gestion, fragilisent l’automatisation de l’appareil, qui explorent des possibles sans en faire de nouveaux programmes. Des planches qui donnent à vivre, des planches sans la fantasmagorie de l’ordre, du vouloir, du pouvoir, du droit, du devoir. Des planches qui s’attachent au fait et au réel-des planches qui s’assemblent avec le jeu de la pensée, donc du désir, pour construire et reconstruire la même histoire fragile et sensible des corps.