Dédoublement, Espace La Brava, Paul Rassat
DE LA NÉCESSITÉ DE L’ART
Chaque exposition est un mélange de ce qui se fait, d’ancien et de plus récent.
« De ce qui se fait », comme si ce n’était pas vous qui le faites. Les choses arrivent naturellement ?
– Oui, comme le lierre. J’avais la toile, j’ai arraché une branche de lierre près de mon atelier, je l’ai mise dessus et puis voila.
Quand vous travaillez, vous êtes entièrement dans la réalisation, vous ne cherchez pas à illustrer quelque chose ?
– Jamais. Je prends ce qui vient mais il y a quand même un fil conducteur présent depuis des mois ou des années. Il est en moi, il vient de mes rencontres. Le fil conducteur… quand j’ai rencontré la moraine glacière, j’étais dans les Vosges ; on me dit « Va voir là-haut, il y a un champ de roches. » J’y suis allé, et voila, après, les boules, il fallait les faire.
Elles font penser à des pelotes basques mais aussi bien à un autre monde, à quelque chose qui tiendrait des débuts de l’univers, surtout avec ces couleurs.
– Ces boules de granit étaient là, il fallait en faire autre chose, ça a donné ça !
Vous dites « Il fallait en faire autre chose », comme s’il s’agissait d’une nécessité.
– Oui parce que je ne pouvais pas emporter les boules.
Mais vous auriez pu ne rien faire du tout ! C’est comme si certaines choses s’imposaient à vous. On retrouve cette nécessité dans les assemblages que vous effectuez ?
– Oui, là, vous voyez, c’est comme un corps, comme le palimpseste de quelque chose qu’on ne définit pas. Tout se marie. Je ne me suis pas posé de problèmes de composition, j’ai peint ça comme ça.
Ça correspond à une sorte de musique intérieure ?
– Oui, à ce qui se passe, c’est permanent, les choses se font, se défont, se reconstruisent.
Vous remettez en question la notion de réalité.
– Ça, c’est le dédoublement. Une chose existe, j’essaie de voir s’il n’y a pas autre chose, ça ne s’arrête jamais. Je n’ai jamais cru aux évidences.
J’ai une formation de graveur mais j’ai remis la gravure en question, comme tous les mediums. Je fais parfois du noir et blanc pur et dur mais je mets aussi de la couleur. Pour ces assemblages, je pars de la gravure, j’y ajoute du tissu, du papier, du cuir…
– Et quand savez-vous qu’une œuvre est terminée ?
C’est la grande question. On revient à la notion de rythme, ça fonctionne. Je pioche dans tout ce que recèle mon atelier.
On a l’impression que vous partez de formes existantes que vous recomposez autrement.
– C’est ça, je remets en question des fonds de gravure exécutés il y a longtemps que je retravaille avec des matériaux différents, des rythmes qui se complètent ou s’opposent, des détails comme ce papier retourné comme un revers. Là vous voyez des caillebotis que j’ai disposés un peu comme une échelle. C’était la canicule, il faisait chaud, il fallait s’évader. Ces caillebotis se trouvaient dans le frigo du magasin de mon père. Ils sont faits pour se trouver au sol, je les ai élevés.
En une élévation de caillebotis. Vous aimez bien jouer, avec les formes que vous décomposez, que vous superposez, vous jouez avec les rythmes et vous récupérez même le rideau de cette boutique. Vous jouez avec le temps. - Je faisais une toile à la dimension d’un lit et je me suis dit que le rideau devrait aller juste. Ce n’était pas prévu, je l’ai disposé devant. Les couleurs de la toile m’ont tout de suite évoqué ce rideau.
Encore une fois, on a l’impression que les choses s’imposent à vous.
– Oui, effectivement. Ce rideau est le symbole du public et du privé. Ce qui fait que j’ai pensé à Courbet pour cette « Origine ».
Ici tout le pan de mur est habité de miroirs travaillés, gravés, et de peintures
qui « pètent de couleurs ».
– Ça peut évoquer un mouvement permanent, des explosions, comme sur ce grand tableau, oui ; mais je l’ai réalisé en plusieurs fois, ça vient lentement. Je travaille sur plusieurs toiles en même temps et je passe de l’une à l’autre.
Vous êtes un chef d’orchestre et ce sont vos musiciens et vos instruments. Votre fils Xavier expose vos aquarelles sur la voiture qu’il pilote en rallye. On retrouve l’idée de circuit dans cette réalisation.
– J’ai été malade et j’ai alors réalisé plein d’aquarelles… qui sont passées sur la voiture de Xavier. Quant aux miroirs que vous voyez, ils viennent de ce que j’avais exposé chez Cournault, un peintre nancéen qui était soutenu par le collectionneur Jacques Doucet. J’ai montré mon travail dans la maison de Cournault qui est devenu maintenant un lieu d’exposition. J’avais retrouvé dans une armoire tapissée de journaux la nécrologie de Cournault. Encore quelque chose qui venait à moi, je me suis dit « Il faut que tu fasses du Cournault ! » Ça n’en est pas, mais ce sont des miroirs.
Jean-François Chevalier m’explique qu’on passe en gravure d’un état à un autre au cours du travail. On retrouve là les notions de progressivité, de passage, de palimpseste. Notre relation à la réalité évolue sans cesse. Rien de figé, tout est mouvement, du pinceau qui glisse évoquant l’origine du monde, la frontière, le passage du privé au public. L’art est métaphore, il crée des liens. Celui de Jean- François Chevalier s’écrit sur la portée de la vie. Il explose de couleurs comme une soupe primitive crée la vie, il fait chanter toutes sortes de liens possibles entre les matières, les formes et les couleurs.
La notion de nécessité vient probablement d’une grande curiosité au monde, d’une ouverture qui crée des liens évidents, des enchevêtrements de sens que le corps, même s’il a été malade, joue à retranscrire.