Académie de Stanislas Prix Gallilé, D.Burnot
Cher ami, tu connais Jean François Chevalier. Tu sais qu’on entre dans ses gravures, dans sa peinture, ou dans ses sculptures, non point avec le souci de retrouver une scène figée, déjà vue, qui ne serait qu’une belle carte postale améliorée, mais qu’on y entre avec sa sensibilité et cette expérience privilégiée et toujours renouvelée de découvrir à travers une œuvre la traduction du regard de l’auteur. J’ai vu ou plutôt, j’ai expérimenté la dernière création de Jean François. Ce n’est pas pour entretenir je ne sais quel suspens dérisoire, que je ne te décrirai pas cette création ; je crois que je ne le saurais pas et surtout je crois que ce serait vain. Il faut accepter de se plonger tout entier dans un univers qui nous est tout à la fois familier et original. Si tu veux, ma seule ambition est de te dire ce que j’ai senti, ce à quoi j’ai vibré, et aussi, et là je n’aurai pas beaucoup de mal, te connaissant, à te donner envie de te »tremper » dans l’oeuvre de Jean François.
Imagine une pièce fermée. Tu y entres avec ta vie, les rencontres que tu as faites, les peines , les joies, les espoirs partagés. Tu es saisi par une ambiance un peu étouffante au départ. Tu te retrouves dans le gris, dans la grisaille du quotidien. Tu te sens un peu écrasé. C’est comme si tu écoutais seul, un soir de cafard une page de Wagner, avec tout ce qu’elle peut avoir quelquefois d’oppressant, de lourd. Et puis, petit à petit, tu te laisses gagner par le silence. Et tu te fais contemplatif. Et insensiblement tu découvres que ce qui te paraissait grisaille, nuit, ténèbres et par le fait même tristesse, s’éclaire, devient lumière. ET tout ce qui semblait figé, se fait mouvement par des lignes qui s’élèvent, lumineuses, simples, naturelles et dans lesquelles tu reconnais tous les gestes familiers que tu fais à chaque instant . Et je t’avoue qu’instinctivement, presque malgré moi, c’est »feu d’artifice royal » de Haendel qui m’est venu à l’esprit. Et c’est à ce moment là que j’ai approché tout le sens insoupçonné de l’oeuvre de Jean François. Les trois ensembles de gravures sont des portes. Et qui dit porte dit passage. Pour moi, c’est assez proche d’une expérience spirituelle, enracinée chez l’homme. Le passage de la porte suppose qu’on laisse mourir en nous ce qui est grisaille pour naitre à la lumière ce qui est figé, j’allais dire fané, pour laisser éclater la vie. C’est en somme, accepter de dépouiller en nous ce qui est vieillot, périmé, pour revêtir le neuf, l’homme nouveau. Il est encore un autre point que je voudrais souligner et qui dans le fond, va tout à fait dans le sens du passage. Tout passage nécessite une rupture. Les gravures de jean François sont coupées et en même temps forment une unité. C’est bien sûr, un appel à regarder tout ce que nous faisons dans notre vie, toutes les choses faites les unes à côté des autres et qui ne paraissent pas avoir de liens directs entre elles, et leur permettre, sinon de trouver leur unité, du moins pour celui qui les pratique de trouver une unité de sa vie et une ligne directrice. C’est un fameux passage que celui d’accepter de s’arrêter et de s’émerveiller que sa vie, composée de mille activités puisse avoir un sens. Et accepter le passage, c’est accepter que ce ne soit pas simplement sa tête, son esprit mais bien tout l’être qui s’y engage. C’est sûrement pour cette raison que l’on ne peut se contenter de contempler l’oeuvre de Jean François qu’avec ses yeux ; c’est tout le corps qui regarde ; et il y a même à certains instants, cette délicieuse impression que la respiration s’harmonise avec le mouvement et le rythme des lignes.
Je serais heureux que tu partages ce que j’ai vécu devant les gravures de Jean François CHEVALIER. Après, si tu veux, on en reparlera.