Un peu après, Musée Pierre Noël St-Dié, Christophe Georgel
Depuis la plus haute Antiquité, les arts plastiques (indo)européens – explicitement figuratifs et symboliques (peinture, sculpture…) ou implicitement (architecture, urbanisme…) – ont le plus souvent entretenu avec l’ordre discursif un rapport de subordination pour le moins ambigu. Ambigu, au point de faire accroire à un devenir langage de l’art qui en dit long autant sur sa fonction codificatrice et prétendue « civilisatrice », que sur les « origines » et les « fondements » mythiques et par conséquent paradoxaux de la pensée occidentale. Le siècle tapageur et présomptueux des Avant-gardes et des révolutions modernistes, s’il a ressenti durement -« dramatiquement » lui sied mieux – comme une oppression qui présageait de sa propre agressivité, la contrainte exercée par une aussi forte dépendance, n’est pas lui-même parvenu comme il l’eût espéré, loin s’en faut, à se déprendre des mailles étroites des catégories de la « raison » dialectique qui entravaient ses « mouvements » (artistiques, politiques…) faute de pouvoir, d’où il venait, en saisir les apories et les contradictions ; au bout du compte, ce siècle si audacieux semble même n’avoir jamais cessé de s’empêtrer dans des fils invisibles (car sans doute trop évidents pour une véritable et totale remise en cause) des certitudes qui guidaient droit et aveuglément ses membres roides, comme l’indique par ailleurs les innombrables déclarations d’intention de la longue série des manifestes utopistes et de la littérature artistique et architecturale, avec leurs criminelles bonnes intentions et leurs promesses de bonheur forcé, signes de fuite, du renoncement et de la lâcheté idéalistes peints aux formes inertes et aux couleurs fanées du masque de la morale. La méfiance souvent réitérée durant des millénaires à l’égard des images (qui sont pourtant du langage se pétrifiant déjà en « Art ») qui s’est bien des fois exacerbée en iconoclasme, ne dit -elle pas malgré leur assujettissement linguistique la « puissance » reconnue aux images voire leurs « fonds » quasi magique, leur faculté à distendre et à rompre leurs amarres, à dissoudre les rets du langage et pourquoi pas à fissurer et à ébranler le pesant socle de la « métaphysique ». En réalité, la prétendue « puissance des images » peut dissimuler deux problèmes qu’il importe de ne pas confondre : le premier est un faux-problème. Il tient au statut sémiotique de l’image en Occident.
La subordination de l’image à l’ordre discursif interdit à celle-ci de jamais jouer pleinement une fonction critique ou positive, car elle ne constitue ni un dehors positif de la pensée se posant comme différence non intégrable par les représentations dominantes ni un point de comparaison dynamique de questionnement, mais pour une part prééminente un duplication de celle-ci ; elle « agit » de l’intérieur plus comme un organe constitutif, partiel (partial) et représentatif que comme corps étranger. L’image s’agite tout au plus dans la pensée, ses faux mouvements ne sont ni plus ni moins que des soubresauts des paradoxes qui « animent » si l’on peut dire, la mécanique séculaire (spéculative) de la pensée mythico-symbolique ou dialectique. Pis encore, dans la tradition pythagorique et platonicienne occidentale, l’image est elle-même une figure de contradiction qui atteint son comble dans la prétendue « spiritualité » médiévale. Le crédit exceptionnel accordé à l’image à la fin du Moyen-Age et à la Renaissance tient à l’illusion d’un Manque pensé en puissance de dissimulation et converti en moyen de séduction destiné à entretenir un désir exorbitant dans l’attente indéfinie de sa satisfaction. L’image prétend montrer en masquant, elle est conçue paradoxalement comme limite de séparation entre un cri et un ailleurs, et en même temps comme surface d’intercession et lieu de passage dans l’au-delà fictif vers lequel elle fait signe. Elle constitue moins un écran à traverser et un obstacle à surmonter (par soi), qu’un obstacle comme ou en tant que passage nécessitant l’intervention d’une transcendance, le pouvoir d’une instance supérieure ou de l’autorité du génie créateur. Elle ne prétend pas moins que déchirer le voile sensible des apparences (qui la constitue) et libérer l’esprit de l’opacité et de la pesanteur du corps et le convertir en transparente blancheur afin de lui donner accès sans plus de résistance à l’insondable profondeur de l’Etre… Et aujourd’hui encore, après le rejet des représentations verticales et transcendantales du monde, sans qu’on s’en rende compte, elle reste souvent malgré elle assujettie à la structure dualiste et paradoxale du mythe et à la « logique » de la discontinuité impensable : elle continue de diviser, d’instituer, de produire des conflits, des dissymétries et des hiérarchies ; et quoi qu’on en dise,pour nous « post-modernes », elle n’a pas renoncé à fixer, à ordonner, elle s’obstine toujours à convaincre et à contraindre. L’image peine encore beaucoup à advenir véritablement une figure de l’immanence et elle conserve bien des traces de verticalité, ne serait ce que l’héritage notionnel de nos langes indo-européennes s’avère loin d’être expurgé des non-sens des fictions sémantiques et des fantasmes philosophiques (« l’Etre » ou le « Sens »… ) L’image a donc longtemps et principalement consisté en une réification des paradoxes et en cela sa généalogie reflète l’histoire des faux problèmes de la pensée occidentale issus du ressassement lassant et du déplacement de ses paradoxes constitutifs.
le second problème, qui mérite quant à lui d’être revisité à la suite des détours si fructueux de Michel Foucault, est inhérent à la question de l’irréductibilité du visible et de l’énonçable, qui peut nous mener à une reconsidération non pas de l’image (il serait préférable de délaisser là une telle notion) mais des pratiques dites artistiques, de leurs enjeux, de leurs modes opératoires et de leurs virtualités poétiques. Mais ce déplacement du questionnement vers le poétique peut-il s’engager pleinement si l’on ne parvient pas à s’abstraire de l’emprise de la rhétorique, obstinée qu’elle demeure, à toujours vouloir persuader, obsédée qu’elle demeure par la connaissance et le désir de vérité ? Sans doute non, c’est que la poésie n’a rien à faire avec d’aussi fumeuse motivations. L’un des indices les plus remarquables, des impasses du modernisme réside dans la radicalité des mouvements d’avant-garde. La logique de guerre de la tabula rasa maintes fois invoquée sur le ton prophétique et direct de la révélation et du mot d’ordre trahit la structure mythique (irraisonnée) du raisonnement dialectique (moderne) : la volonté d’instaurer un nouvel ordre (beau) social (juste) et spirituel (vrai) conserve la forme miraculeuse et paradoxe du mythe et de l’utopie. D’abord nier l’autre, le rejeter définitivement dans l’obscurité de sa nuit et enfin s’affirmer (soi) dans sa pleine identité (inimitable ), mais en tant que tel exemplaire , donc modèle… à imiter, à la pleine lumière de la (sa) vérité sans tache. Inventer et stigmatiser pour la bannir l’altérité , terrasser le monstre im-monde. Raser. Détruire et reconstruire à partir du rien (on se demande comment), ériger la forme-idée dans la perfection de ce dessein à l’encontre de l’entropie et du devoir. Viser droit la cible et pulvériser tout obstacle qui s’interpose sur le chemin de l’accomplissement intégral et total de l ‘Universel. Radicalité et brutalité simplistes de la coupure et de la ligne droite. Négation de la multiplicité, de la complexité et des virtualités du devenir, de la réactivité, de la disposition-disponibilité et de la propension des choses. Enlisement ridicule dans l’ornière du projet. L’artiste d’avant-garde perpétue la vision héroïque et sotériologique chrétienne du genre romantique inspiré (autant que tourmenté) et téléologique et impérialiste du conquérant (avide et meurtrier ) ; sa propre puissance repose sur la croyance (foi) en la puissance du négatif et la logique du coup de grâce. L’absolu de sa fin-le mythe d’une « Humanité » enfin révélée elle-même et d’un avenir radieux-justifie les moyens et mérite bien le sacrifice des hommes à la gloire de l’Homme. Car quoi mieux que la violence augure du changement annonciateur du renouveau (toujours différé) ? Les avant-gardes mènent et refont en fait toujours plus ou moins les mêmes combats d’arrière-garde. Sinon universalité, du moins facilité et commodité du mythe obligent. L’impatience criminelles des illuminés, la pétition de puissance, la confrontation directe et le raccourci des forcenés restent toujours affaire de mythe et de « perspective ».
La perspective n’est pas une invention d la Renaissance. Partout où l’on trouve des mythes, bien avant la cosmologie du Timée et le rêve du Cristias (le mythe de l’Atlantide), il est question d’elle. C’est à dire de désir, de jouissance et de cruauté, de vision et de possession. (Tous mots synonymes, qui forment le cercle magique dans lequel s’enferment et s’embourbent la pensée et la peinture occidentales). Désirer pour posséder et jouir d’un bien, d’un corps ou d’une connaissance (accéder à l’essence), saisir, mettre à nu la Vérité et voir. Voir au bout du compte, c’est posséder. Tracer et poser une limite avant et afin de la franchir et de la transgresser. Collusion de la vision ,de la conquête et de la propriété (dans les deux sens du terme : identité et possession) . Voir : maintenir et considérer à distance, saisir, juger mettre à nu (dés-em-parer), objectiver et isoler dans la forme, viser, transpercer, poignarder avec la pointe du regard, stigmatiser. Voir et objectiver, c’est déjà vendre, prostituer et violer (s ’em-parer). Ou aussi bien désirer ou être possédé, être obnubilé, ensorcelé par le désir suscité par l’illusion aliénante d’un au-delà de la vision et du pouvoir. Paradoxe de la subjectivité et de l’objectivation, de la limite et du passage, de l’identité et de l’altérité, de l’ordre et du chaos, de la saturation et du manque, de l’espace et du temps…de l’opacité et de la transparence de la visagéité. Les conceptions programmatiques de l’art-les visions- demeurent des utopies perspectivistes et créationnistes. Du Rien sort inexplicablement le Tout ; ainsi en est-il dans le mythe humaniste (ou moderne comme on voudra) d’une conscience constituante et libre par lequel l’Artiste-Démiurge par sa Création Révélation fait du spectateur sa chose, un adorateur et un voyeur possédé et enchaîné à l’Oeuvre, il le voue à la passion et à l’horreur de la contemplation, le fige dans la fascination, et le soumet à la Loi privative de la forme et à la Morale de la Figure. Il n’a pas suffi de prétendre congédier les mimésis et la représentation pour s’en dépendre complètement. Ni congédier les dogmes pour échapper à leur diktat. On s’en est pris le plus souvent aux symptômes les plus visibles (la perspective, et contrairement aux apparences plus rarement à la figure) de la mauvaise conscience européenne, mais certainement pas aux racines de la névrose et du mal-être occidentaux. Même lorsque la figure, apparition surgie de l’écume des flots du génie ordonnateur et pervers se révèle larvée, meurtrie, atteinte dans son intégrité, voire absent(é)e, on évite pas nécessairement la figuration, ni le symbolisme, c’est à dire la structure mythique (par où s’anime le langage à son noyau doctrinal) déniée et donc peu respectée qui leur est corrélative.
Les pratiques artistiques de ces dernières années semblent dans l’ensemble échapper au dogmatisme et à la généalogie modernistes : et s’il faut porter à leur crédit leur diversité et leur capacité relative de renouvellement , qu’en est-il de l’impératif d’originalité et de renouveau conquérant ? Se sont-ils au pire des cas mués par les exigences du marché en surenchère et en vulgarité destinées à maintenir en haleine la frange mondaine des spectateurs de l’art contemporain ? C’est que l’art « post-moderniste » ( aussi douteux et contestable que paraisse un vocable aussi générique et réducteur, le préfixe peut laisser entendre les échos du modernisme dans notre contemporanéité) ne s’est pas totalement affranchi des comportements et des habitus du perspectivisme moderne ni du repli identitaire traditionaliste. Pas plus que la globalisation, comme l’indique les régressions des sociétés de contrôle ne s’est émancipée des stratégies panoptiques d’intégration des sociétés disciplinaires (modernes), mais semble bien le produit combiné de celles-ci et des règles d’inclusion-exclusion des sociétés archaïques.Il n’y a qu’à considérer la part de la pro-duction actuelle qui reste dominée par un réalisme de bouchers (le réalisme reste l’une des principales formes prises par l’idéalisme moderne), par l’imagerie publicitaire et la pornographie, dont les nouveaux oripeaux restent hantés par le spectre toujours revenant de l’ontologie ; remarquez l’importance du corps disséqué, du nu sublimé, et du sexe étalé dans la photographie, la vidéo et les performances, les trois symptômes les plus significatifs de la « volonté de savoir » et des pulsions scopiques de l’Occident, de son antique obsession ( forcement maladive) d’une Vérité surexposée. Par delà la distorsion, l’atrophie et la fragmentation tragiques du corps ; tout ce que montrent tant de figures défigurées et informes tout au long du XXème siècle- l’art , loin de déboucher vers des modes de subjectivation « solaires », reste abondamment marqué par la culpabilité humaniste, il sert bien des fois la logique du pire et entretient un goût ambigu de l’accident et une crainte de catastrophe. On constate la même tendance générale dans les attitudes prétendues engagées et la critique sociale avec des propos journalistiques aussi vains, et affligeants et sans attrait que bavards. L’esthétique elle-même d’ailleurs n’est pas morte : elle que Nietzche a substitué à la métaphysique, ne peut rompre ses liens, fussent-ils et parce que dionysiens, avec l’ontologie. Et la théorie de l’esquisse moderne non plus. C’est pourtant du côté de cette dernière, que l’art moderne et contemporain s’est montré et continue d’être le plus fécond et le plus digne d’attention, surtout lorsque l’inachevé oublie de signifier (la tragédie) de l’altérité, de nouveaux horizons où l’oubli (désabusé) est de statufier, mais au contraire lorsqu’il libère et laisse vagabonder l’esprit en valant pour lui-même par ses vertus poétiques vivifiantes.
On ne cesse pas de dénoncer, d’interpeller, de (se) confronter, de juger, d’attaquer, de tout dire pour ne rien dire, de refaire le monde, autrement dit tout étaler, de saturer, d’asphyxier, d’ossifier, de trancher pour enfin priver, éviter et rater. Sans doute manquons nous trop souvent de disponibilité nécessaire à l’art (ou/et peut être de l’art nécessaire à la disponibilité) ? C’est sans doute pour cela que certaines pratiques artistiques souvent désappointent le « profane ». Mais sans doute aussi se complaît-on parfois à chercher midi à quatorze heures car le geste artistique ne s’interprète pas (il n’est pas un geste épique et ne mène pas au Graal), il ne répond à aucune intentionnalité (encore un mythe). Interpréter c’est laisser croire à l’énigmaticité de l’Oeuvre, c’est déjà sacraliser l’Art et l’Oeuvre. Créer et entretenir des dissymétries (car créer c’est exclure) . Un tel « art » n’est qu’un des multiples moyen de distinction sociale, auquel contribuent l’élitisme et l’hermétisme absurde de la critique éxégétrice. Une manière de territorialisation, d’appropriation et d’institutionnalisation d’un prétendu art par la production réservée et jalouse du « sens ». Une des innombrables techniques d’exclusion de l’humanisme dont on sait les conséquences : le drame de la réification de notre existence, la choséification de nos corps, l’instrumentalisation de nos actes, la normalisation de désirs morbides et l’amputation de nos émotions. L’art comme faire œuvre n’existe pas. Sinon comme manière de croire qu’on avance alors qu’on tourne en rond et encore… à reculons. Tout comme on a justement dit que l’histoire n’est pas un champ de tir mais un terrain vague, on aimerait pouvoir dire plus souvent des pratiques artistiques qu’elles n’occupent pas mais libèrent les lieux, qu’elles offrent une disponibilité toujours renouvelée à l’espace. Et que ce lieu de repli de nos vies, semblable à un « cloître surveillé par le destin » le mot de Michaux à propos de la perspective (italienne ) où l’on risque de s’enfermer dans un face-à-face abêtissant avec soi- même, s’est délocalisé et s’est enfin ouvert sur les sentiers broussailleux et tortueux d’un jardin oriental où se succèdent les atmosphères variées et changeantes au cours des heures, des saisons, des années jamais ennuyeuses, et toujours propices à la réserve et au délassement. Si aujourd’hui l’univers des réseaux constitue une chance et une alternative à l’espace productif carcéral de l’humanisme, il faut se garder d’emprunter toujours les mêmes mailles et de circuler en boucle fermée. Bien qu’on aimerait la croire dépassée, la critique du modernisme survivant (et comme tel nuisible à toute disponibilité) n’est peut être pas tout à fait superflue. Elle ne concerne d’ailleurs pas tant le « public » et les « acteurs » du champ artistique que la pensée et le langage eux-mêmes que nous ne choisissons pas mais qui ne déterminent pas moins notre comportement, au même titre que la conjoncture à laquelle ils participent. Un souffle venu de dehors serait le bienvenu.
Peut être fallait -il effectivement renverser la formule lapidaire d’Horace, ut pictura poesis. En effet, que peut-on attendre de bon et que peut il bien advenir d’une poésie peinte, ou qui dépeint ? Dépeindre, décrire, c’est donner à voir… imposer à la vue l’évidence indiscutable de la forme pleine et close. Boucher l’espace, saturer, opacifier, aveugler la clarté de la pleine lumière aboutit à l’acuité la plus stérile et à l’impuissance. Car une fois que tout est donné, que tout est dit, que tout est là, que reste-t-il ? Après l’anamorphose, une fois que le couperet de l’avénement-événement est tombé, l’oeuvre se condamne d’elle-même, épuisée, décapitée. Forme auto-castratrice et suicide de la Vérité dans son apparition-concrétion. L’évidence de la forme est sa nullité. La vacuité du plein est sans doute passionnante, plus sûrement pathétique, mais certainement pas motivante ni émouvante. En revanche la poésie retrouve toutes ses possibilités dès que l’on se contente de dé-peindre, comme on dit de dé-faire, dé-nouer, mieux dé-jouer, afin de laisser s’épanouir l’intensité et la variabilité de sa saveur et d’enjouer. Le préfixe n’est pas privatif et ne signifie pas la négation ; il est incitatif et engage au contraire à des dispositions positives, dynamiques et induit la disponibilité. Ainsi dé-peindre, mais aussi dé-limiter, dé-finir, dé-former, dé-figurer, dé-ranger… non pas canaliser, parachever, distordre, meurtrir, affecter, agresser, importuner, mais au contraire ouvrir, laisser inachevé, différer toute spécification, rendre disponible, reconfigurer, réarranger, réactiver sans fin. C’est pour cela : ut poesis picture. La peinture (entendons l’art) est comme poésie au sens étymologique d’un faire positif sans s’attacher au produit (l’oeuvre créée) dans ce qu’il a de définitif, d’extérieur et d’exclusif, mais au procès en soi, en deçà de toute communication, lorsque tout (l’inattendu, l’imprévu) reste ou en tout cas peut sembler encore possible par soi-même ainsi. Susciter l’émotion en déjà de la figure, avec ce que cela suppose d’économie, voire de dépouillement et de silence, si allusifs et subtils pour passer par-delà elle au procès d’engendrement dans son évasive complexité et son infinie diversité. Le procès artistique-poétique ne diffère pas de celui du monde auquel il appartient et où tout dépend de tout. Il tient non pas de la création s’achevant dans un forme-figure-idée arrêtée à laquelle adhérer sans condition. Il tient plus du paysage en ce qui reconfigure indéfiniment l’espace en zones de (inter-) réactivité, là où les choses se jouent-déjouent-relancent, dans l' »entre »où ça se passe, où il y a du devenir, il vaut par sa capacité d’incitation, d’éclosion ,de déploiement, de prolifération infinie, de réactualisation et de résonance.